ETAPE FULERA
Ces dix dernières années, de véritables bidonvilles sont sortis de terre à Mayotte. Environ 25 000 logements insalubres ont été estimés en 2019, ce nombre évolue d’année en année. Des constructions sommaires qui associent urgence, précarité, illégalité, souvent installées dans des zones à risques, dans les pentes progressivement déboisées, au bord de rivières.
Notre réflexion méthodologique est de proposer des solutions pour supprimer l’habitat insalubre dans les vingt prochaines années. C’est dans cet objectif qu’a été développé la mise en œuvre d’un module en ossature métallique industrialisée.
En juin 2020, Sylvia Frey conçoit pour le compte de l’EPFAM (maîtrise d’ouvrage) et COALLIA (gestionnaire) une opération logements temporaires « Village Relais » pour le relogement des familles éligibles sorties du bidonville. Ce type de réalisation propose un logement digne et un accompagnement social et juridique pour une durée de six mois reconductibles.
Baptisé Étape Fulera, (fleur en shimaorais), cette opération comprend 31 maisons en R+1 pouvant chacune accueillir une à deux familles. Chaque maison occupe une surface de 53 m2 et un bloc sanitaire indépendant en RDC avec cuisine et sanitaires. Les maisons sont habillées de bardage bois, les menuiseries extérieures sont des jalousies et les pignons sont équipés de ventelles afin de garantir au mieux la ventilation transversale. Les tôles de toiture sont traitées d’un revêtement réfléchissant blanc de protection des rayons solaires et de la chaleur.
Chaque maison bénéficie d’un espace terrasse et de zones de plantations vivrières partagées.
Le projet est complété par une laverie proposant 5 machines à laver et un lavoir traditionnel.
Une salle polyvalente de 60 m2 a été réalisée avec 2 containers "dernier voyage" présents sur site (qui ont fait voyager les ossatures métalliques) habillés partiellement de bardage bois.
Témoignage
Yves-Michel DAUNAR, Directeur général de l’EPFAM - Maître d'ouvrage
"L’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM) a vocation à porter des opérations d’aménagement urbain sur l’ensemble du territoire.
Or, de nombreux terrains sont occupés de manière informelle. Des quartiers entiers sont constitués d’habitations rudimentaires sans permis de construire et les populations y vivent le plus souvent dans des conditions de grande précarité́. Les quartiers accueillent aussi bien des familles mahoraises déplacées, des familles de migrants résidant à Mayotte depuis de nombreuses années que des familles arrivées plus récemment.
Même si l’ensemble du territoire n’est pas encore entièrement mité par ces constructions, le phénomène est amené à se développer si d’autres alternatives de logement ne sont pas mises en place, surtout dans le contexte actuel de forte pression migratoire.
L’absence de qualité constructive des habitations et leur fragilité en cas de tempête ou de cyclone les condamnent, pour la plupart, à être démolies dans le cadre des aménagements à venir. Or, ces opérations d’aménagement doivent être conformes à la loi du 23 juin 2011 relative à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, dite «Loi Letchimy» qui précise que lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipements publics rend nécessaire la démolition d’habitations informelles, le relogement des personnes concernées est assuré par la personne publique ayant engagé l’opération.
Les moyens financiers de nombre des occupants ne permettent pas d'envisager un processus classique de construction, ni de relogement en locatif. Il convient de rechercher des dispositifs réduisant le coût de la construction, mais garantissant au minimum les conditions de sécurité vis à vis des aléas et de salubrité.
Ainsi, la question du relogement durable des personnes installées dans les quartiers d’habitat informel est un problème auquel l’EPFAM doit apporter des éléments de réponse de manière urgente. Il est nécessaire d’intervenir avant que les occupations se multiplient et compliquent davantage les opérations urbaines à venir.
La double problématique d’une part de l’absence de logements sociaux et d’autre part des faibles revenus des populations, incapables d’assumer le coût d’un loyer d’un logement même très social, renforcée par la disparition de l’allocation logement ; et de la suppression d’une partie de leur alimentation de subsistance tirée du foncier occupé illégalement, nous a contraint à travailler sur de nouveaux modèles de logement, de relogement.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet, conduit avec l’agence HARAPPA de Sylvia FREY de recherche d’une typologie de constructions à coût maitrisé, réalisable éventuellement en autoconstruction. L’autoconstruction encadrée a en effet été identifiées par de nombreux acteurs comme une piste riche en potentiel dans la lutte contre l’habitat indigne.
L’autoconstruction encadrée (ACE) est une approche qui permet de produire des logements à coûts réduits en faisant participer les habitants à la construction de leur maison, ce qui a pour effet de diminuer considérablement les coûts de main d’œuvre. La construction est encadrée par des personnes qualifiées, capables d’enseigner aux habitants les gestes techniques nécessaires et de s’assurer du bon déroulement des différentes étapes de la construction. L’objectif est d’aboutir à des constructions à coût faible, simples mais solides, faciles à réaliser en quelques semaines, et qui garantissent à leurs habitants des conditions de sécurité́ et de salubrité́ acceptables. L’ACE permet l’accession au logement à des personnes qui n’auraient pas les moyens financiers de d’y accéder par le biais des subventions. Dans le cadre de la réalisation des premières constructions, l’EPFAM est chargé dans un premier temps d’identifier des fonciers propices pour la réalisation de ces opérations.
Il convenait aussi de trouver un modèle répondant aux contraintes du territoire, terrains en pente et soumis à de nombreux aléas.
La solution arrêtée à partir d’une ossature métallique en capacité de supporter de nombreux matériaux, bois, brique en terre crue, parpaings ou bambou, en façade a fait l’objet d’un prototype monté par le personnel de l’établissement.
Le produit présenté a fait l’objet d’une certaine unanimité qui a conduit le préfet de Mayotte à faire construire par l’EPFAM, maître d’ouvrage, et Harappa en maîtrise d’œuvre, un centre d’hébergement d’urgence, réalisé́ par des entreprises d’insertion, permettant l’accueil de famille en situation d’urgence.
La plus grande réussite de ce projet a été de montrer que construire à coût maitrisé pour des populations en grande précarité́ était possible et cette expérience a été reprise dans le Plan Logement Outre-Mer 2019-2022. C’est dans ce cadre que le Plan Urbanisme Construction et Architecture (PUCA) a lancé l’appel à projets « TOTEM », « un toit pour tous Outre-Mer », qui a permis de retenir six équipes sur Guyane et Mayotte pour le développement de solutions humaines à coût maitrisé.
Merci à Sylvia FREY d’avoir ouvert la voie, d’avoir montré, par son approche sociale, la faisabilité d’un habitat répondant aux besoins d’une population en grande précarité."